Une défaite de l'intelligence
Dimanche 29 Mars 2015
Jacques Julliard
Commençons par dénoncer une escroquerie. Ce n'est pas l'UMP qui est arrivée en tête des départementales dimanche 22 mars, mais la coalition qu'elle a constituée avec l'UDI et le MoDem, c'est-à-dire les centristes. De sorte qu'il est impossible de dire la part qui revient àchacun, et donc de déterminer qui du Front national, avec ses 25 à 26 % des suffrages, ou de l'UMP était dimanche soir le premier parti de France.
Commençons par dénoncer un tour de passe-passe. Les commentateurs ont pris la sale habitude de juger les résultats d'une élection non par rapport à la précédente, comme il serait normal, mais par rapport aux pronostics tirés des sondages. C'est-à-dire du vent. C'est ainsi que le bond en avant du Front national a été escamoté puisqu'on lui promettait un triomphe et que la défaite du PS a été minimisée puisqu'on lui promettait la déroute.Poursuivons en dénonçant une sorte de forfaiture morale : les électeurs ont été bien bons de se déranger pour élire des assemblées départementales dont le premier Ministre, il y a un peu plus d'un an, annonçait la disparition. et dont les pouvoirs n'étaient pas connus au moment même où on les élisait.
Et terminons en soulignant cette réalité cinglante : la gauche, tous groupes et groupuscules confondus, ne représente plus, dans la France de 2015, qu'un gros tiers de l'électorat français. Un tripartisme normal devrait comprendre une gauche, une droite et un centre.
Aujourd'hui, nous avons une gauche, une droite et une extrême droite. Et, plus précisément,une gauche bobo, une droite tradi, une extrême droite prolo.
Dans ces conditions, la stratégie de la division de la gauche, voulue par le Front de gauche,était suicidaire. Et, de plus, artificielle.
Quand l'axe du monde passait à l'intérieur même de la gauche, comme au temps de la guerre froide, et qu'un choix fondamental entre l'économie de marché et le socialisme autoritaire s'imposait dans la moindre élection ; autrement dit, quand les socialistes étaient à l'Ouest et les communistes à l'Est, alors la division avait du sens, et personne n'eût voulu passer par-dessus, quitte à faire gagner la droite.Mais aujourd'hui ? Le seul choix qui demeure est entre le libéralisme pur et le keynésianisme. Il faut en discuter. Mais semblable alternative mérite-t-elle que l'on donne délibérément la victoire à la droite et que l'on fasse la courte échelle au Front national ? Ma réponse est non, mille fois non.
Dès lors, la rediabolisation tentée par Manuel Valls à l'égard du FN ne pouvait qu'échouer parce qu'elle reposait sur une analyse erronée du phénomène.
Le Front national n'est pas un parti fasciste. Ce disant, on ne cherche pas à réduire la menace qu'il représente, mais on tente de lui opposer la bonne stratégie. Les partis fascistes ou nazis n'ont jamais dissimulé leur nature et leurs intentions parce que, dans les régimes politiques de masse, il est impossible de mentir longtemps à ses propres partisans. La légende d'un Front national clandestinement fasciste, qui se révélerait au dernier moment, est tout simplement absurde. Et interdit de le critiquer pour ce qu'il est : au départ, un petit parti autoritaire et raciste, devenu à cause du malaise grandissant des classes populaires un grand parti populiste, nationaliste, xénophobe et sécuritaire.
C'est une tâche de longue haleine, qui se confond avec la réinvention intellectuelle et morale de la gauche.